« ABRAZO »
Émile Parisien, saxophone soprano
Vincent Peirani, accordéon et voix
Deux musiciens d’exception aux sources du tango argentin.
On ne parle que d’eux dans le milieu du jazz : à quarante ans à peine, l’accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Émile Parisien sont devenus des musiciens incontournables. Guidés par le même amour de la musique, ils se retrouvent régulièrement sur scène ou en studio pour des collaborations qui font toujours des étincelles. Après avoir rendu hommage aux musiciens et compositeurs de la Belle Époque, ils nous emmènent à la découverte du tango argentin !
De reprises de chants traditionnels (Astor Piazzolla) en créations originales, en passant par la relecture de thèmes incontournables (Temptation de Xavier Cugat), Vincent Peirani et Émile Parisien nous livreront leur propre vision du tango. Ce duo d’exception n’a pas son pareil pour nous transporter dans des ailleurs encore inexplorés. Un concert vibrant où l’on entendra battre le cœur de Buenos Aires !
« Les meilleurs ambassadeurs du jazz tricolore. » Le Parisien, 2018
« Un exemple rare d’amitié musicale. » France Musique, 2017
Interview de Vincent Peirani pour jazz magazine
Comment la musique est-elle arrivée dans votre vie, et pourquoi ce choix de l’accordéon ?
Mon père a fait de la musique en amateur dans sa jeunesse, et il a tout arrêté quand je suis né. Il travaillait à l’usine, et il avait un orchestre de bal qu’il faisait tourner le week-end et dans lequel il jouait de l’accordéon, de la guitare, du saxophone… Mais il n’a jamais pu en faire son métier. Sans faire de la psychologie de bazar, je pense qu’il a voulu vivre sa passion à travers moi, en m’incitant très tôt à faire de la musique et, comme tout petit garçon en adoration devant son papa, je me suis laissé faire. Au départ je lui ai dit que je voulais faire de la batterie, mais il a refusé, et c’est lui qui m’a imposé l’accordéon. J’avais à peine 12 ans et, franchement, pour moi ça été la tuile : l’accordéon je trouvais ça vraiment ringard. Mais il m’a forcé, fait travailler très dur, et je me souviens que pendant longtemps, chaque fois qu’il me mettait l’instrument sur les genoux, je pleurais. Finalement au bout d’un an de ce régime, il m’a dit : « Tu as bien bossé, tu vas pouvoir apprendre un autre instrument ! » Je pensais que j’allais enfin me mettre à la batterie, mais pas du tout, et il m’a mis une clarinette dans les mains ! Du coup, je suis entré au Conservatoire de Nice, et j’ai commencé à m’initier à la musique classique. Avec mon père, durant cette année d’initiation à l’accordéon, j’avais joué principalement du musette, mais là, via la clarinette, je découvre un autre monde, de la musique symphonique à la musique de chambre, et je prends une vraie claque. Mon père s’est rendu compte aussitôt de mon goût pour le classique et il m’a dit : « Mais tu sais qu’avec ton accordéon tu peux jouer aussi cette musique-là ? » Et il m’a amené voir un professeur qui s’est mis à jouer devant moi des pièces de Bach et Mendelssohn à l’accordéon. Et là, deuxième choc ! À partir de ce moment-là, j’ai arrêté de pleurer quand on me mettait l’accordéon dans les bras et je me suis mis à découvrir toutes les potentialités de l’instrument à travers cette musique-là.
Dans le champ de la musique savante occidentale, l’accordéon est quand même un instrument marginal…
En fait il y a un répertoire spécifique, mais extrêmement méconnu au-delà de la petite caste des accordéonistes, qu’on appelle le bayan. Ce sont des pièces contemporaines et des transcriptions de morceaux classiques. Moi, par exemple, j’ai toujours adoré jouer Mozart, Mendelssohn et Bach, ça m’a toujours parlé au plus intime. Mais le problème, c’est que c’est un petit milieu très fermé et qu’on se retrouve souvent à jouer seul. C’est pour ça qu’au conservatoire j’ai très vite essayé d’intégrer les classes d’orgue, de piano et de clavecin en essuyant beaucoup de refus, du fait de ma spécialité. Mais à force de les emmerder, ils ont fini par me faire une petite place et j’ai commencé à étudier des compositions pour d’autres instruments, sans qu’elles soient transcrites ou adaptées pour l’accordéon. Ça m’a beaucoup appris, en me faisant sortir de mes idiomatismes. Mais c’est indéniable que le choix de l’accordéon m’a placé très tôt dans une position de marginalité. J’ai toujours ressenti dans le regard des autres que ma place n’était pas légitime. Que je n’étais pas simplement différent mais “moins bien”. Dans le monde du classique, comme dans celui du jazz, un peu plus tard, quand je suis arrivé dans les jams avec mon accordéon, j’ai toujours dû faire le forcing pour m’imposer, ça n’est jamais allé de soi. Mais bon, j’ai toujours aimé les défis, la compétition, et je crois que ça m’a aidé à faire face quand j’aurais pu sombrer dans une sorte de dépression, à force de refus…
Vu la situation inconfortable dans laquelle il vous plaçait, qu’est-ce que vous lui avez donc trouvé à cet instrument pour persévérer ?
Je ne pense pas avoir jamais été un militant de l’accordéon. Ce qui s’est passé, c’est que j’aimais les musiques qu’on me proposait, cette possibilité de passer de la musique classique au flamenco, au jazz, etc. Je n’ai jamais rien cherché à prouver, sinon que j’étais un musicien, que c’était cet instrument que j’avais entre les mains, et que c’est à travers lui que je désirais m’exprimer. J’ai progressivement compris que l’accordéon, à travers la diversité de musiques qu’il était en mesure de véhiculer, me faisait du bien. Je me suis mis à aimer son contact. Ce n’est pas une légende, c’est un instrument qu’on embrasse, on le tient contre soi un peu comme un enfant, il y a quelque chose de très charnel, de très intime dans cette proximité. Et puis c’est un instrument très riche, très complet quand on l’explore, avec deux claviers, des registres comme sur un orgue. C’est fou ses potentialités, un véritable orchestre à lui tout seul ! Ce n’est pas pour rien qu’on le retrouve partout sur la planète, de la Chine à l’Europe de l’Est en passant par l’Amérique centrale. C’est un instrument nomade qu’on emporte partout, et qui à lui seul peut faire danser les gens, véhiculer plein d’histoires dans des humeurs très différentes. Il a une dimension réellement universelle.
Dans l’imaginaire collectif, l’accordéon demeure associé à la musique populaire, au folklore, à la chanson. Ce sont des genres que vous avez fréquentés ?
Absolument. Mon père m’a toujours dit : « Tu aimes le classique c’est une chose, mais tout bon accordéoniste doit faire du bal ! » Il m’a vraiment poussé à jouer le répertoire populaire, à le connaître, le maîtriser, l’aimer, à savoir faire danser les gens, et il y a un truc que j’ai conservé de ses habitudes c’est de parler de chanson et non de morceau, comme en jazz ou en classique… Du coup j’ai bien fait une demi-douzaine de saisons de balloche et j’ai trouvé beaucoup de plaisir à faire ça. Ça m’a fait totalement reconsidérer le répertoire du musette, qui a vraiment une image ringarde, mais à la vérité ce ne sont pas les chansons qui sont mauvaises, c’est la façon qu’on a eue de les interpréter pendant des années… Quand on l’extrait du folklore “gourmette, chemise ouverte et sourire crispé”, le musette est un genre à redécouvrir et, pour ma part, Aujourd’hui encore j’aime faire des bals à l’occasion. Parce que n’est pas facile de jouer cette musique-là correctement, c’est même tout un art. Et dans mon propre univers, j’aime introduire des formes empruntées à ces traditions, des valses, des tangos, pour me les accaparer et les transformer à ma manière… Moi qui suis un rat de conservatoire qui a passé un temps fou le nez dans ses partitions, ça fait aussi partie de mes références, au bout du compte, cette forme d’oralité. Ça m’a ouvert à d’autres dimensions de la musique en matière de phrasé et de sentiments.
Et quand découvrez-vous le jazz ?
A l’orée des années 2000. J’ai été très malade à cette époque, et j’ai dû arrêter la musique pendant presque trois ans. Un de mes copains venait régulièrement me voir à l’hôpital et de temps en temps avec des disques. Il m’apportait du classique, du rock, de la chanson, et un jour il est arrivé avec “You Must Believe In Spring” de Bill Evans et "L’eau de là" de Sixun. Et là, ça m’a mis littéralement par terre. J’ai d’abord écouté Bill Evans, et ça a été une claque encore plus forte que celle que j’avais reçue pour le classique. J’ai mis l’autre dans la foulée, même chose. J’ai appelé mon pote direct, et je lui ai demandé : « Les deux disques que tu m’as filés là, qu’est-ce que c’est ? » Évidemment il n’a pas compris ma question, il m’a répondu un truc du genre : « Bah c’est écrit dessus… – Non, ok, je veux dire : ce n’est pas du rock, ni du classique, qu’est-ce que c’est ? » Et là il est tombé de sa chaise : « Tu ne sais pas ce que c’est ?! Mais c’est du jazz ! » J’ai enregistré l’information, mais je ne l’ai pas laissé tranquille pour autant : « Du jazz ? Ok ! Mais lequel des deux ? – Eh ben les deux ! » Ça a été la révélation : que des musiques aussi différentes puisse relever d’une même catégorie, je trouvais ça fascinant. C’est comme ça que j’ai découvert ce à quoi pouvait bien ressembler le jazz dans toute sa diversité stylistique, et je me souviens m’être dit alors : « Si tu sors de tout ce pétrin et que tu refais de la musique c’est de ce côté-là qu’il faudra aller voir ! »
Les artistes
Emile Parisien
Un saxophoniste, musicien et compositeur de jazz.
Il rentre à l’âge de onze ans dans la première promotion du collège « Jazz » de Marciac, où il fait l’apprentissage de la musique auprès de musiciens confirmés comme Pierre Boussaguet, Guy Laffitte et Tonton Salut.
Au cours de ces années, Emile a la chance de côtoyer de grandes figures du jazz : Wynton Marsalis, Chris Mc Bride, Johnny Griffin ou Bobby Hutcherson lui donnent l’occasion de se produire auprès d’eux au festival de Marciac.
Il approfondit son enseignement à partir de 1996 en intégrant le Conservatoire de Toulouse, où il étudie la musique classique et contemporaine, avec notamment Philippe Lecoq.
En 2000, Emile Parisien s’installe à Paris. Depuis, il se produit en France et à l’étranger avec, entre autres, Daniel Humair, Michel Portal, Jean-Paul Celea, Jacky Terrasson, Claude Tchamitchian, Yaron Herman, Gueorgui Kornazov, Rémi Vignolo, Manu Codjia, Hervé Sellin, Christophe Wallemme, Paco Sery, Eric Serra, le Syndicate (Hommage à Joe Zawinul), Michael Wollny, Roberto Negro, Louis Sclavis, Jeff Mills …
En 2004, il participe à la création du spectacle HIP 11, mêlant jazz et danse hip-hop. Cette même année, il affirme son identité artistique en fondant avec Julien Touery, Sylvain Darrifourcq et Ivan Gélugne, Emile Parisien Quartet. Inspiré par les compositeurs du 20e siècle comme par John Coltrane, Wayne Shorter ou Ornette Coleman, ce quartet donne un caractère expressionniste à sa musique, où prime l’improvisation.
Le quartet connait un changement avec l’arrivée de Julien Loutelier à la batterie et devient Double Screening. C’est une affirmation, une manifestation : celle de l’imagination fertile d’un musicien dont les partenaires sont en phase avec leur leader. Un funambule que ces dernières années ont confirmé comme une pièce maîtresse de la scène jazz européenne, dont il avait poussé la porte dès l’adolescence.
C’est au sein du quartet de Daniel Humair que Vincent Peirani et Emile Parisien se rencontrent, ils ouvrent ensemble pour la première fois une nouvelle page musicale en duo au festival A Vaulx Jazz en 2013. Depuis, outre le duo qui rencontre un immense succès en France mais aussi hors hexagone, ils ne se sont plus quittés. Multipliant les collaborations tant dans les formations de Vincent Peirani que dans celles d’Emile, ils se retrouvent en particulier dans le nouveau quintet du saxophoniste « Sfumato ».
C’est en octobre 2016 que le très attendu album « Sfumato » voit le jour. La presse européenne réserve un accueil de premier choix à ce disque, des 5 étoiles du Guardian au Choc Jazzmagazine en passant par la critique italienne ou suédoise ; confirmant ainsi la grande vitalité du jazz français en général et la force de la musique d’Emile Parisien en particulier.
Toujours à la recherche de sensations nouvelles, Émile Parisien abordera prochainement la formule du sextet. Ce nouveau projet, « Louise » paraîtra fin janvier 2022.
Vincent Peirani
Voir en ligne : https://vincent-peirani.com/
Vincent Peirani, l’accordéoniste que tout le monde s’arrache.
Comme toutes les musiques populaires, le jazz est une musique de fortes personnalités. La reconnaissance internationale de l’accordéoniste Vincent Peirani repose sur cette qualité essentielle, fondamentale. Son charisme musical, son imaginaire hautement singulier, la conception de son art, fruits d’un parcours sans œillères, frappent très tôt tous les esprits.
Vincent Peirani commence l’accordéon à l’âge de onze ans sous l’influence de son père musicien. À douze ans il entre au conservatoire de Nice où il commence une formation en musique classique et apprend à jouer de la clarinette.
Entre 1994 et 1998, il gagne d’importantes concours internationaux d’accordéon classique : concours international de Klingenthal (Allemagne), concours international de la CMA4 à Reinach (Suisse), concours international de Castelfidardo et Trophée mondial à Cassino (Italie), après lesquels il commence à se produire dans de nombreux festivals à travers l’Europe en tant que soliste. Puis il remporte le Premier prix en accordéon classique au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en 1996.
Vincent Peirani s’installe à Paris en 2001 où il intègre le département jazz et musiques improvisées du CNSMD de Paris. Il rencontre des musiciens comme Daniel Humair et découvre une nouvelle palette de possibilités musicales incluant la musique classique contemporaine, la chanson et le jazz.
Sa plongée dans l’univers jazz se révèle d’emblée marquée du sceau de la réussite jusqu’aux couronnements aux Victoires du jazz en 2014, 2015 puis en 2019 pour l’album Night Walker.
Quel que soit le style, Vincent Peirani transforme tout ce qu’il touche en or : jazz bien sûr, mais aussi chanson française (Sanseverino, Les Yeux Noirs), musiques de film (compositeur pour le film Barbara de Mathieu Amalric en 2017), etc. Et le public suit, car à chaque prestation il place ses auditeurs dans une situation où l’évidence musicale (reprises inventives de thèmes connus) se trouve équilibrée au bienheureux inattendu, le savant tutoyant toujours le populaire, ce qui est précisément l’art des grands.
Celui qui a renouvelé complètement le langage de l’accordéon depuis maintenant dix années est à présent un artiste incontournable, l’un de ceux dont la vision musicale cosmopolite et décomplexée, le sens inouï des croisements et des couleurs, lui permettent d’apporter cette touche magique si rare et si précieuse.