Clarinettiste et saxophoniste à la technique éblouissante forgée à l’école exigeante de la musique classique occidentale ; concertiste et chambriste raffiné (grand spécialiste de Mozart et de Schumann) mais aussi, simultanément, propagateur inspiré du free jazz et de l’improvisation libre tout au long des années 70 au sein de son Unit ; interprète privilégié des grands maîtres de la musique contemporaine (Boulez, Stockhausen, Berio) et compositeur lui-même, notamment pour le cinéma (Comolli, Oshima...) ; aventurier solitaire du jazz sous toutes ses formes, régénérant son énergie dans une boulimie jamais rassasiée de rencontres tous azimuts (de Bernard Lubat à Martial Solal, en passant par Joachim Kühn, Joey Baron, Jack DeJohnette, Richard Galliano, Bojan Z, la liste est interminable...) — Michel Portal, incapable de se fixer (à un style, à un genre, à un groupe…) n’a jamais envisagé la musique autrement que comme l’espace intime d’une mise en danger maximale, ne craignant rien tant que répéter aujourd’hui ce qui a été conçu et joué la veille. Voilà sans doute pourquoi, définitivement entré dans la légende de la musique française et européenne, Portal à 85 ans n’a pourtant rien d’une institution. Phénix toujours renaissant, peuplé par toutes ces musiques qui au fil des années l’ont traversé, bousculé, constitué, le clarinettiste, quel que soit le contexte dans lequel il se produit, du solo absolu au quintette plus conforme aux standards de la formation de jazz, persiste à faire de son art l’expérience d’une mise à nu où chaque fois éprouver ses limites et se réinventer. En métamorphose continuelle, sa musique inimitable, lyrique, habitée, ouverte aux flux et migrations — définitivement nomade en ce qu’elle n’a que faire des frontières, ne les transgressant même pas, se contentant de les ignorer superbement — n’est sans doute pas de celles sur lesquelles se fondent les écoles. Trop libre. Trop insaisissable. Elle entre en revanche dans la catégorie rare des expressions artistiques de ce demi-siècle ayant su le mieux saisir l’instabilité et l’imprévisibilité radicales de nos existences éphémères. Elle n’en est que plus précieuse.
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Michel Portal n’a jamais envisagé la musique autrement que comme une passion dévorante à laquelle se vouer corps et âme dans l’espoir d’échapper un tant soit peu au terrible ennui de la vie des hommes.